30/10/2007

Argentine, les leçons d’une élection (1/2)

Une semaine après le premier tour de la présidentielle argentine qui a vu la victoire écrasante de Cristina Kirchner, il est temps de faire un bilan du processus électoral, et de tirer les enseignements des résultats. Si les principaux enjeux furent traités dans la presse francophone, j’essaierai ici de les replacer dans le contexte argentin.


Résultats des présidentielles du 28 octobre

Candidat Président / vice-Président

Nb Voix

Pourcentage

Cristina Fernandez de Kirchner - Julio Cobos

8.204.624

44,92%

Elisa Carrio - Ruben Hector Giustiniani

4.191.361

22,95%

Roberto Lavagna - Gerardo Morales

3.083.577

16,88%

Alberto Rodriguez Saa - Hector M. Maya

1.408.736

7,71%

Fernando 'Pino' Solanas - Angel Cadelli

292.933

1,60%

Jorge Omar Sobisch - Jorge Asis

284.161

1,56%

Ricardo Lopez Murphy - Esteban Bullrich

264.746

1,45%


La victoire de Cristina

Annoncée depuis des mois, ce n’est une surprise pour personne. Elle n’a pas eu besoin d’un second tour puisque le système électoral argentin se contente de 40% des voix et dix points d’avance sur le second candidat pour être élu au premier tour.

Cette victoire écrasante contraste d’abord avec celle de son mari quatre ans plus tôt. Celui-ci n’était arrivé que second à l’issu du premier tour (22,2%), et l’avait emporté grâce à l’abandon de Carlos Menem qui anticipait ainsi une lourde défaite au second tour. « Mal élu » Nestor Kirchner a pourtant caracolé dans les sondages a plus de 70% d’opinions favorables tout au long de son mandat. Alors que ces mêmes sondages lui prédisaient une réélection dans un fauteuil, il a préféré passer la main à sa femme qui jouissait presque des mêmes niveaux de popularité.

Pourquoi Nestor Kirchner a-t-il passé la main ?

Pourquoi se retirer lorsque l’on a le vent en poupe ? La première explication vient de Kirchner lui-même qui prétend « renouveler » le personnel politique… tout en restant en famille ! Cette règle s'applique aussi à d'autres personnalités politiques kirchneristes qui ont dû céder leur poste (comme Sola dans la province de Buenos Aires), même si dans les faits il s’agit surtout d’un jeu de chaises musicales. Deuxième raison invoquée, le Président, souhaite s'atteler à la reconstruction d’un parti. Le système de parti argentin ayant explosé au début des années 2000 (division du Parti Justicialiste, effondrement du parti radical), Kirchner pouvait compter depuis 2003 sur une alliance électorale constituée autour de lui-même, le Frente para la Victoria. Ce n’est pourtant pas un parti à proprement parler, et le désormais ex-président aspire à en faire une structure durable.

Les deux autres explications sont fondées sur des rumeurs. Certains affirment que Nestor Kirchner serait atteint d’une maladie compromettant sa permanence au pouvoir. Cette hypothèse n’a cependant jamais été confirmée jusqu’ici par des sources « officialistes ». D’autres, comme la revue Noticias, pensent que le couple Kirchner aurait prévu de se succéder au pouvoir pour mieux le conserver… jusqu’en 2019 ! La politique-fiction ayant ses limites, et les Argentins ayant toujours le droit de vote, cette hypothèse sera difficile à confirmer ou infirmer avant… 2019 !

Cristina s’est-elle appuyée sur le mouvement péroniste ?

En partie. Le péronisme vise depuis les années 1950 à réconcilier la droite et la gauche, travail et capital, pauvres et élites. La recette, teintée à l’origine de fascisme italien, a été appliquée différemment selon les époques et les gouvernements (plutôt à gauche par Perón de 1946 à 1955, franchement à droite par Menem de 1989 à 1999). Concernant la pratique du pouvoir, le péronisme a construit de fortes alliances avec les syndicats jusqu’en 1989 (avec la CGT au niveau interprofessionnel) pour relayer les consignes gouvernementales en échange de quelques prébendes.

Le mouvement péroniste s’est divisé dans les années 90 et ne dispose plus aujourd’hui de la même capacité de mobilisation. Mais il subsiste une mémoire partagée, stimulée par le recours permanent aux symboles fondateurs des années 1940, ce qui en fait une arme électorale encore puissante. Mais si Cristina se revendique elle aussi de Perón et d’Evita, elle n’en rajoute pas pour éviter de rebuter l’électorat non-péroniste.

Grâce notamment à des réseaux de type clientélistes, le péronisme parvient à toucher les plus pauvres et de dispose de relais dans tout le pays. Depuis les années 2004-2005, le président Kirchner s’est peu à peu imposé au sein du mouvement péroniste face aux Menem, Duhalde (président de 2002 à 2003) et Rodriguez Saa, et il a hérité de la majorité des réseaux existants grâce à des alliances locales. Cela a évidemment pesé sur les résultats électoraux, mais d’autres facteurs entrent en ligne de compte.

Qui a voté pour Cristina ?

Outre ce fameux vote péroniste venant en grande partie des couches populaires, le couple Kirchner a pu compter sur une large frange de la classe moyenne. Si celle-ci ne s’identifie pas forcément au péronisme, elle a cependant été la principale bénéficiaire de la reprise économique (avec les élites). Elle plébiscite donc la forte croissance économique qui lui a permis de se redresser après la crise.

Où l’élection s’est-elle faite ?

Encore une fois, c’est la province de Buenos Aires qui a pesé dans le résultat final. Elle représente à elle seule 10 millions d'électeurs (soit 37 % au niveau national), répartis sur la banlieue de Buenos Aires, et quelques villes moyennes comme La Plata, Mar del Plata et Bahia Blanca. Cristina s’y est nettement imposé, de même que dans 21 provinces sur 23 que comptent le pays, et avec des pics dans les régions pauvres du Nord-Ouest argentin (78% à Santiago del Estero). De l’autre côté, Carrio l’emporte à Buenos Aires (Capital Federal, qui comprend le centre-ville) où le péronisme est historiquement faible ; Lavagna gagne à Cordoba, et Rodriguez Saa dans son fief de San Luis.

L’abstention

Elle a été relativement forte. 28,2 %, c’est davantage que lors des dernières présidentielles (21,8%), même si l’on est loin du « vote bronca » des législatives d’octobre 2001 (25% d’abstention, 24% de votes nuls ou blancs). Parmi les causes, on pense d’abord au peu de suspense sur les résultats d’un scrutin « joué d’avance ». D’un autre côté, le syndrome « Que se vayan todos » (tous dehors) de 2001 n’a pas totalement disparu, mais ce n’est pas une explication suffisante. il faut tout de même noter que le vote est obligatoire en Argentine, mais qu’il existe tout un ensemble de dérogations pour passer entre les mailles du filet.

Sources :
Résultats des présidentielles : Ministère de l'intérieur
Photos : Clarin.com et archives

Aucun commentaire: